Par delà les vagues

Bien évidemment, je me suis intéressé à « Par delà les vagues » le livre d’Olivier Véran. Traitant lui aussi de la crise du COVID-19, il était intéressant de confronter sa vision de responsable politique au cœur de l’action, avec la mienne, celle d’un citoyen qui cherche à comprendre les dysfonctionnements pour qu’ils ne se reproduisent pas.

Le livre d’Olivier Véran est présenté comme un récit, alors que le mien est un essai. Cela se traduit par une vraie complémentarité entre les deux livres.

Ainsi, sur le reproche qui lui est fait d’avoir indiqué que le masque était inutile en population générale, il répond que telle était la position de toutes les autorités médicales, françaises et internationales. Il n’entre pas plus dans le détail, car tel n’est pas son propos. Pour lui, l’essentiel est de témoigner de ce qu’il a vécu, pas de convaincre point par point. Dans mon livre, je m’attache à vérifier ce type de propos. C’est pourquoi j’y cite des documents dont le rapport du Haut Conseil de Santé Publique en 2011 qui confirme totalement les dires du ministre.

Malgré des recherches minutieuses, je n’avais pas réussi à totalement comprendre comment quelques centaines de milliers de masques médicaux étaient soudainement apparus au cours du premier confinement. Comme souvent durant cette crise, l’explication était aussi simple qu’hallucinante. Ces masques étaient conservés en attente de leur destruction, car ils étaient considérés comme ne répondant plus aux normes. Après réanalyse, beaucoup ont pu être récupérés soit pleinement, soit pour le grand public. On comprend le mécontentement d’Olivier Véran face au temps qu’il avait fallu pour qu’on lui signale leur existence à un moment où toute la France en cherchait.

Le ministre passe vite sur le fait que ce n’était pas au gouvernement de fournir les masques aux soignants en début d’épidémie. Il explique ne pas avoir voulu donner le sentiment de mettre la faute sur ses prédécesseurs. La réalité, c’est que dans ce genre de situation il vaut mieux se taire, même si on a raison. Face à l’émotion des médecins fustigeant devant les micros l’irresponsabilité du gouvernement, le message aurait été inaudible. Dans ce cas, il n’y a d’autres solutions que d’encaisser les coups qu’on prend… pour les autres.

S’il y a une raison qui me fait recommander la lecture du livre d’Olivier Véran, ce sont les témoignages sur la réalité du pouvoir des ministres. Beaucoup de nos compatriotes les voient comme des personnes qui décident et dont les décisions sont immédiatement appliquées. S’ils ont l’impression que ce n’est pas le cas, alors le ministre est systématiquement jugé comme incompétent. La réalité de la vie politique est bien différente. Par exemple, lorsqu’il explique pourquoi il a fallu plusieurs semaines avant qu’une entreprise qui fabrique des cotons-tiges soit autorisée à fabriquer des écouvillons. Pourtant, il y avait urgence pour pouvoir tester les Français. Même un ministre ne peut accélérer le processus autant qu’il le souhaiterait, car si les écouvillons se révèlent trop fragiles et se cassent dans le nez, tant l’opposition que le cœur des médias dénonceraient violemment son incompétence. Il ne reste donc plus qu’à attendre le retour des analyses. Pourtant, les commentateurs connaissent parfaitement les raisons de ces retards. Préférant faire « leur petite cuisine sur leur petit réchaud », ils jouent les étonnés et se scandalisent d’un délai qu’ils dénoncent comme injustifiable. Je trouve cela éminemment regrettable. Ma position n’a rien à voir avec la couleur politique du gouvernement en place. Les précédents n’ont pas mieux été traités, mais cela n’est pas une raison pour s’y habituer.

Olivier Véran nous fait visiter l’envers du décor d’un théâtre dont nous avons été les acteurs. Le chapitre sur les débuts de la vaccination nous montre toute la difficulté d’une logistique d’une envergure sans précédent, et la fabrique des polémiques s’appuyant sur la moindre difficulté. Elles n’apportent rien, elles sont injustes et nombre de ceux qui s’y vautrent préfèrent affaiblir l’adversaire politique plutôt que de mobiliser le pays vers ce qui changera le cours de la pandémie. Mais comme le dit le proverbe « rien ne sert de pourrir, il faut construire avec soins ». Tout cela s’est heureusement terminé par la déroute des antivaccins. Dommage qu’elle ait dû passer par la déroute de ceux qui se réjouissaient d’avance du « fiasco » annoncé. J’ai beau admettre que c’est le jeu normal de la démocratie, ces dérapages traduisent une société où l’affrontement systématique devient un fonctionnement considéré comme normal. J’observe qu’Olivier Véran préfère rester discret sur l’attitude inutilement agressive de certains médecins au début de l’épidémie, attitude dont je n’ai pas caché qu’elle m’avait choqué.

S’il y a bien quelque chose que je souhaite ardemment, c’est que les médecins comprennent mieux le mode de pensée des politiques. Sans avoir eu d’autres responsabilités que locales, j’ai été longuement un élu municipal. Il m’en reste des réflexes qui, je le comprends parfaitement, sont difficiles à intégrer pour un médecin. Celui-ci n’a qu’une boussole, soigner. Comment peut-il comprendre qu’un ministre perde du temps à passer des compromis byzantins avec des élus locaux qui refusent de voir la menace sur les hôpitaux de leur ville ? Pourtant, aller à l’affrontement ne serait au mieux qu’une perte de temps, au pire déclencherait des blocages tragiques. Je comprends l’incompréhension des médecins devant ce troisième confinement pour eux trop tardif. Médicalement, ils avaient certainement raison. Mais, moi même j’avais le sentiment que le pays était au bord de la crise de nerfs et qu’on risquait de déclencher des réactions de rejet, y compris violentes. J’aimerais que les médecins n’aient pas le sentiment que leur avis est considéré comme négligeable lorsque les politiques recherchent simplement l’équilibre entre les nécessaires décisions sanitaires et ce qui peut être supporté par la population. J’aimerais qu’ils prennent conscience qu’à vouloir mettre la pression sur les politiques ils ne font que rendre le passage plus étroit. Si le système de santé français n’a pas explosé, on le doit à leur engagement, mais aussi au savoir-faire des politiques en responsabilité. Qu’ils reçoivent les uns et les autres l’expression de ma sincère gratitude, avec une mention spéciale pour les médecins qui ont su ne pas se laisser emporter à une critique facile devant les micros. Pour eux, mon admiration est sans bornes et j’espère que les autres suivront leur exemple, dans notre intérêt à tous.

Ce que nous propose Olivier Véran, c’est une chronique d’un ministre bousculé par une pandémie d’une violence inédite depuis un siècle. Il fait part de ses doutes, que ce soit sur le moment où avec le recul du temps, de ceux qu’il a admirés et qui sont nombreux, de ceux qui ont fait perdre un temps précieux par des interventions publiques déplacées, de ceux qui l’ont accompagné dans ce qui a été une lutte exténuante. Il fait aussi part de certaines de ses réflexions pour l’avenir tout en ne cachant pas son ambition politique.

Un livre à lire si on souhaite comprendre les mécaniques en œuvre à la tête d’un pays en crise profonde.